Bernard Descamps

 

LA VILLE

PARIS COULEUR NUIT

On a tout dit, et tout photographié sans doute, du Paris - Ville Lumière qui a fasciné tout autant les poètes, les voyageurs et les photographes. On a tout dit et tout montré, depuis un siècle, de cette capitale dont l’architecture s’est révélée de lumière et, bien que Paris change au rythme de travaux importants, nous avons de Paris une vision nostalgique qui pourrait, entre Doisneau, Izis, Frasnay, Boubat et Brassaï, se résumer à la vue des pavés mouillés et des amoureux qui s’embrassent sur les quais ou sur la place de l’hôtel de ville. Mais le Paris d’aujourd’hui n’est plus celui d’Henri Miller et les pavés ont presque partout disparu quand, de plus en plus sophistiquées, les lumières révèlent et soulignent une architecture en devenir qui garde, avec fidélité, des moments de son histoire. De même que Paris a changé, notre vision est autre et nous savons, confusément, que la cité ne se laisse plus regarder comme avant, mais cela restait un sentiment, basé sur quelques images parcellaires et souvent anecdotiques.

Bernard Descamps, en s’imposant des traversées de Paris en quête d’images, n’a pas suivi les guides touristiques. Il a laissé ses pas le porter vers des itinéraires toujours modifiables, faits d’intuitions autant que de raison, arpentant le bitume en quête non point de moments, mais de couleurs. Bouclant ainsi un moment de sa vie photographique, il a radicalisé son apprentissage de coloriste par le véritable manifeste d’un Paris couleur nuit.
En effet, des couleurs de Paris, nous voyons sans cesse les néons, les enseignes, les éclairages teintés qui écrivent le grand livre de la ville signalisée.

Par un léger gauchissement du regard, Bernard Descamps a fui les sources de lumières qui nous attirent spontanément comme les papillons de nuit et il s’est attaché à relever l’effet de ces lumières. Paris devient alors un coloriage irréel, cadre parfait pour un polar ici, pour une fête là, pour une pause ailleurs, laissant ouverts les sentiments, de la tendresse à l’effroi. En niant la source et en regardant la lumière portée, le piéton attentif nous prouve, par exemple, que les pavés luisants ne sont plus aujourd'hui en noir et blanc, mais peuvent être rougis ou bleutés. Que la concurrence d'un néon et d'une enseigne écarlate peut dessiner en bleu un arbrisseau sur fond de scène orangée ou rosée, que les escaliers tombent en cascade verte dès lors que le sodium brûlera dans les lampes, que les " décorateurs " de la ville qui ont braqué, comme au théâtre, leurs projecteurs bleutés soulignant les moulures d’une façade se laissant percée d’ouvertures dorées.
Paris, comme une symphonie de couleurs acidulées ou douces, se révèle un décor.

Alors, nous rêvons, une fois de plus, un Paris à découvrir encore et autrement. Nous en faisons le cadre somptueux de fictions toujours proches. Et, finalement, Bernard Descamps nous reparle de la photographie, de ce fait incompréhensible qui, en couleur aussi, ne sait que regarder le travail d’écriture de la lumière, des lumières, même et peut être surtout la nuit.

 

Christian CAUJOLLE 1992
Texte pour une exposition à la FNAC

 
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Texte
© Bernard Descamps